Le remplacement des compteurs électriques par des compteurs « intelligents » permettra d’accroître l’efficacité énergétique. Va-t-il faire émerger un marché des services de maîtrise de la demande d’électricité ? Cela est moins sûr. Étonnamment, les fournisseurs, sous l’égide du régulateur de l’énergie, ont opté pour un service public de la maîtrise de la demande d’électricité.
L’enjeu des politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’est pas seulement environnemental. Il est aussi de stimuler l’innovation, facteur de croissance économique. La politique d’amélioration de l’efficacité énergétique (ou d’économie d’électricité) nécessite de lourds investissements visant à transformer le réseau électrique en un réseau plus intelligent, un smart grid. A ce titre, les Etats membres ont jusqu’en 2020 pour remplacer les compteurs d’au moins 80 % des clients des secteurs résidentiel et tertiaire par des compteurs plus « intelligents ». En France métropolitaine, ces deux secteurs représentent 99 % des sites raccordés au réseau basse tension (< 36kVA), soit environ 43 % de la consommation d’électricité, et près de 25 % des émissions de gaz à effet de serre (sans compter celles émises lors de la production de l’énergie électrique qui alimente ces sites).
Ces nouveaux compteurs possèdent des fonctionnalités qui permettent de réduire la consommation électrique. En particulier, la télérelève des données de consommation toutes les 10 minutes, et leur transmission en temps réel sur un afficheur déporté (l’écran d’un ordinateur, etc.), matérialisent sans délai les efforts d’économie d’électricité ; ce qui était impossible auparavant avec deux relevés par an.
Ces fonctionnalités sont supposées créer les conditions d’émergence d’un marché de la maîtrise de la demande d’électricité (MDE) complémentaire de celui de la fourniture. Un marché qui offrirait aux fournisseurs non-historiques la possibilité de se différencier un peu plus, en proposant des services adaptés au besoin de MDE de la clientèle (tarifs mieux adaptés au profil de consommation, brève coupure de l’alimentation d’un chauffage électrique, etc.). Le gain en termes d’innovation pourrait être significatif si des sociétés tierces, spécialistes des technologies de l’information et de la communication, développent elles aussi les applications logicielles permises par l’usage du compteur.
Pourtant, en France, la politique de déploiement des compteurs évolués ne semble pas aller dans le sens d’une plus grande concurrence. L’innovation pourrait s’arrêter au compteur en raison d’une délibération de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) stipulant que ces fonctionnalités doivent relever des missions des distributeurs d’électricité, et que les fonctionnalités supplémentaires qui relèvent du domaine concurrentiel (afficheur déporté, etc.) ne sont pas retenues. En réalité, les fournisseurs ne sont pas prêts à supporter le coût de développement des fonctionnalités. Et, d’après l’Article 4, qui précise la liste des fonctionnalités réservées aux distributeurs, aucune n’a été laissée en exclusivité au secteur concurrentiel. En effet, les ménages équipés d’un ordinateur pourront consulter leurs données de consommation sans passer par leur fournisseur ou une société tierce.
Il est bon de s’interroger sur les bénéfices et les coûts d’une telle approche qui, a priori, ressemble à une monopolisation du marché de la MDE par les distributeurs.
Cette approche permettra d’atteindre rapidement l’objectif des 80 % puisque la CRE a opté pour un service public de la MDE : les distributeurs, qui ont des obligations de service public, déploieront les compteurs communicants. A lui seul, le compteur « Linky » du distributeur d’électricité dominant, ERDF, sera déployé sur 35 millions de sites basse tension, couvrant ainsi 95 % du réseau national de distribution. Ainsi, les fournisseurs n’ayant pas à supporter les coûts de fabrication et déploiement des compteurs, pourront rapidement investir dans le développement des capacités d’effacement. Enfin, le faible taux de pénétration des compteurs dans les pays où le compteur et les services sont en partie à la charge des ménages intéressés, plaide en faveur du modèle français. Plus pragmatique, ce dernier permet des économies d’échelle considérables et supprime l’essentiel des barrières à l’adoption.
Pourtant, le niveau de concentration des activités de distribution et de fourniture de l’électricité aux ménages pose question : ERDF est affilié à EDF, en quasi-monopole dans la fourniture aux ménages. En termes d’innovation dans les services de MDE, l’intérêt pour EDF d’aller au-delà du projet Linky de sa filiale paraît faible. D’abord, à cause des milliards que coûte la fabrication et déploiement de ce compteur. Ensuite parce que la qualité de la solution de base d’information sur les consommations par défaut dans Linky, sera suffisante pour parvenir à créer des coûts de migration vers les services de MDE offerts par la concurrence. Certes, les fournisseurs alternatifs vont pouvoir introduire des tarifs innovants. Mais EDF aussi. Une manière de stimuler l’innovation dans les services de MDE serait de mettre en place une plateforme Linky, pour que des applications des sociétés tierces puissent dialoguer avec son système d’exploitation. Moyennant l’accord du ménage et une charge d’accès aux données, l’activité serait certes régulée, mais l’entrée serait libre. Mais cela n’augmenterait pas la concurrence puisque ces sociétés ne seront pas fournisseurs d’électricité.
Finalement, nous pouvons nous demander si, avec Linky, le groupe EDF n’essaie pas de maintenir sa position d’entreprise dominante dans la fourniture d’électricité. Linky va devenir l’élément d’infrastructure du réseau national que devront emprunter tous les offreurs de service de MDE. Du point de vue des règles de la concurrence, il faut alors se poser la question de savoir si ERDF et ses partenaires ont bien communiqué l’information sur le système d’exploitation de Linky aux sociétés tierces, sans favoritisme pour le groupe EDF et ses filiales (Edelia, Netseenergy).
Les conteurs aimeraient nous narrer une belle histoire d’encouragement à l’innovation dans l’énergie et l’économie numérique pour réussir la transition écologique. Sachant que l’actuel PDG de l’entreprise en charge de l’architecture du système d’information de Linky, Atos, était ministre de l’économie et des finances juste avant le lancement du projet Linky en 2007, nous pouvons en douter…
…
Lire la suite sur http://lecercle.lesechos.fr/
Partager la publication "Les jolis contes des compteurs d’EDF"
[…] Nous pouvons nous demander si, avec Linky, le groupe EDF n’essaie pas de maintenir sa position d’entreprise dominante dans la fourniture d’électricité. Linky va devenir l’élément d’infrastructure du réseau national que devront emprunter tous les offreurs de service de MDE. Du point de vue des règles de la concurrence, il faut alors se poser la question de savoir si ERDF et ses partenaires ont bien communiqué l’information sur le système d’exploitation de Linky aux sociétés tierces, sans favoritisme pour le groupe EDF et ses filiales (Edelia, Netseenergy). […]
Je croyais avoir compris, comme ce sera le cas pour GrDF et Gaspar, que le SI d’ERDF fournirait une information directe au consommateur ou à une société tierce à qui il autoriserait cet accès. Dois-je comprendre que ce ne sera pas le cas et que l’exclusivité en serait réservé aux fournisseurs d’énergie ?
[…] […]