Retour du FIC : smart grids, cyber et géoéconomie

De retour depuis quelques temps déjà du Forum International de la Cybersécurité de Lille où nous animions une table-ronde sur « SCADA énergétiques et cybersécurité », plusieurs interrogations et réflexions stratégiques ont germé à cette occasion. Si les SCADA, systèmes de gestion et télésurveillance, existent depuis longtemps dans le domaine de l’énergie comme dans de nombreux domaines industriels, l’arrivée programme des smart grids ou « réseaux électriques intelligents » crée une nouvelle donne à la croisée des mondes de l’énergie et du cyber avec en outre un enjeu géoéconomique fort.

Les smart grids représentent un enjeu énergétique très important dans une période où la redéfinition des stratégies énergétiques mondiales liées au changement climatique comme aux problèmes économiques de certains Etats. Dans le cas de la France, l’âge des centrales nucléaires, comme celui des réseaux électriques – pointé par un rapport parlementaire en 2011 – posent à terme un grave problème d’infrastructures. Ce dernier pourrait d’ailleurs amener au renchérissement progressif d’une électricité pour l’instant parmi les moins chères d’Europe. Le déploiement de ces nouveaux réseaux permettrait de gérer plus finement tant la production – en injectant sur le réseau au bon moment l’électricité produite par différentes sources aux modes de productions très différents (nucléaire, éolien, photovoltaïque, hydroélectrique) – mais aussi dans la distribution en identifiant plus finement les problématiques de pertes sur réseau. A termes les smart gridspermettront également à l’utilisateur final de mieux gérer sa propre consommation électrique avec une communication entre producteur et utilisateur qui se fera selon un mode bidirectionnel. Ces nouveaux réseaux permettraient donc en théorie de résoudre un problème particulièrement important : celui des pertes sur réseau qui peut parfois, selon les endroits et les pays, atteindre les 65% entre le producteur et l’utilisateur final. L’on se retrouverait donc avec pour une même consommation électrique des foyers, une production électrique dans les centrales nettement moins importante.

Outre cet aspect très franco-français, les smart grids ont aussi un grand intérêt dans la lutte contre le réchauffement climatique. En effet en permettant de mieux gérer production et consommation électrique, ils permettent la réduction de la production d’énergie primaire et donc, dans la plupart des pays occidentaux, une diminution des émissions de CO2. Des pays au fort mix énergétique « fossile » comme les Etats-Unis, la Chine ou même l’Allemagne bénéficieraient grandement du déploiement à grande échelle de ces nouveaux réseaux eu égard à aux problématiques liées au changement climatique et aux négociations internationales associées.

Toutefois il apparait important de saisir que dans l’univers des smart grids de nombreuses problématiques dominent. Unsmart grid est ainsi l’alliance de deux univers : l’énergie et la cybersécurité. En effet les communications, bidirectionnelles pour ces nouveaux réseaux, imposent une sécurisation encore plus grande des infrastructures et protocoles de communication que pour les réseaux traditionnels.  L’énergie, secteur stratégique par essence, a déjà été la cible de nombreuses cyber-attaques, le plus souvent à visées géopolitiques. Dans les cas récents – et médiatisés- on peut noter Stuxnet, Duqu, Flame sur les centrales nucléaires iraniennes ou Shamoon sur la compagnie pétrolière saoudienne Saudi-Aramco. Cette mise en avant géopolitique de la cybersécurité grâce, ou plutôt à cause, du secteur de l’énergie, risque de se trouver encore plus grande lorsque des smart grids seront déployés à grande échelle. Or les différences de culture et d’appréhension d’un certain nombre de facteurs entre énergéticiens et spécialistes cyber créent une faille structurelle qui pourrait être à l’avenir exploitée par divers hackers, cyber-pirates ou agents étatiques.

L’enjeu géopolitique se double également d’un enjeu géoéconomique fort puisque ces systèmes représentent pour des Etats comme pour des entreprises, une formidable opportunité économique de développement des marchés dans le domaine de l’énergie. De nombreux programmes ont ainsi été lancés dans divers pays afin de créer des systèmes nationaux de smart grids utiles énergétiquement et sûrs – autant que faire se peut – dans le domaine cyber. Les Etats-Unis et la Chine, confrontés à des problématiques liées au changement climatique et à un mix énergétique très fortement liée aux énergies fossiles polluantes sont en première ligne pour le développement de ces systèmes. Le paquet de subventions lié à l’ARRA (American Recovery and Reinvestment Act) de 2009 sur l’énergie a permis le développement de vraies solutions sous l’égide du Department of Energy au travers du programme Cybersecurity for Energy Delivery Systems qui a permis l’investissement entre 2009 et 2012 de près de 12 milliards USD dans ce domaine. Côté chinois si les projets semblent moins avancés, la montée en puissance rapide des acteurs énergétiques sous la tutelle de Pékin laisse entrevoir des possibilités intéressantes.

Néanmoins deux acteurs retiennent plus particulièrement l’attention, l’Allemagne et la Corée du Sud. Coté allemand, lessmart grids pourraient être la première partie d’une véritable solution de sortie du nucléaire en réduisant non pas la consommation mais les pertes sur réseau. En amenant à l’utilisateur final plus d’énergie avec une production moindre, Berlin espère trouver la solution à l’équation « sortie du nucléaire + mix énergétique fortement carboné ». Le projet allemand, bien avancé, s’effectue en partenariat avec la Suisse et l’Autriche sous le nom d’E-energy et pourrait bien se révéler la première brique d’un smart grid européen qui, dans ce cas, se retrouverait automatiquement sous la tutelle, du moins économique, de Berlin. La Corée du Sud quant à elle vise avant tout le développement de smart grids dans une volonté de créer une solution viable pour l’export. En capitalisant sur le savoir-faire technologique de ses chaebols dans les domaines du cyber et de l’énergie, eux-mêmes soutenus par un capitalisme d’Etat fort, la Corée du Sud veut devenir le champion technologique mondial des smart grids en rééditant le coup géoéconomique qu’elle a réussi avec les méthaniers dont elle est le fournisseur exclusif.

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