Les missions tout-terrain d’ERDF au Liban et le déploiement de Linky

Dans un pays qui ne dispose parfois que de quelques heures d’électricité par jour, la filiale internationale d’ERDF tente d’imposer son savoir-faire. Une coopération que l’électricien français aimerait mettre en oeuvre dans d’autres régions du monde. Notamment en Afrique.

 

Beyrouth. Il y a moins de vingt-cinq ans, ce seul nom évoquait des immeubles éventrés, des quartiers entiers en ruine, des artères interdites par les snipers. On peine à le croire aujourd’hui, tant la ville a tourné la page de la guerre, même si la fragilité des équilibres confessionnels demeure dans toutes les têtes. Hormis de très rares vestiges d’éclats d’obus sur les façades, les immeubles ne portent plus les stigmates de ce conflit qui a fait près de 200.000 morts entre 1975 et 1990. Infrastructures modernes de transport, téléphones portables ou manutention portuaire ; rien n’indique que Beyrouth était il y a peu l’archétype du chaos.

Mais tout n’a pas encore été reconstruit. «  L’électricité demeure le talon d’Achille de la ville et, par extension, du pays », confirme Antoine Amatoury, conseiller au Liban d’ERDF-i, la filiale internationale d’ ERDF (Electricité réseau distribution de France), implantée ici depuis dix mois. Le visiteur s’en rend vite compte. L’éclairage des pièces et les sessions Internet sont rythmés de microcoupures de courant. Au total, Beyrouth dispose d’électricité vingt et une heures par jour, mais certaines régions du pays n’ont droit qu’à cinq heures. «  En France, le temps moyen de coupure par habitant en 2012 est de 75 minutes, sur 8.700 heures, ici, sur l’ensemble du pays, les coupures frappent la moitié du temps », résume Frédéric Courault, d’ERDF-i.

Le « terrain de jeu » idéal, en quelque sorte, pour démontrer le savoir-faire de l’électricien français. Ce dernier ne s’en cache pas : ce pays « compliqué » peut lui permettre d’asseoir sa marque et sa réputation internationale. Premier gestionnaire de réseau électrique d’Europe avec 35 millions de clients, ERDF – lui-même filiale d’EDF – a créé sa filiale dédiée à la coopération internationale, ERDF-i, en 2009, à la suite de la dérégulation des marchés européens. Pour compenser les pertes de parts de marché potentielles dans l’Hexagone, l’international est devenu un axe stratégique d’ERDF. Structuré autour de quatre zones géographiques (ex-URSS, Chine-Asie, Amérique du sud-Europe, ainsi que Turquie-Moyen-Orient-Afrique), ERDF-i offre toute une panoplie de services : réalisation d’études techniques et prestations de conseil, formation, assistance technique et surtout gestion déléguée des réseaux basse et moyenne tension. Sans oublier d’éventuelles prises de participations dans des sociétés locales.

Une expérience haute en couleur

ERDF-i est ainsi devenu en 2010 le premier groupe étranger à signer un contrat d’assistance technique à la distribution d’électricité en Russie, dans la région de Tomsk, en Sibérie (« Les Echos » du 25 février) : 200.000 clients dispersés sur une surface équivalente à celle de la France. L’année suivante, l’entreprise s’est vu confier la distribution d’électricité de la province chinoise de Shaanxi. «  Les opportunités les plus considérables pour nous résident en Russie, en Chine, ainsi qu’au Brésil et en Turquie », précise Marc Boileau, directeur de la stratégie d’ERDF-i. La filiale d’EDF mise aussi sur l’Afrique, avec de premières missions en Côte d’Ivoire et au Maroc, en attendant le Congo.

Si le gâteau potentiel est immense, pour l’instant les parts sont petites. «  Nous sommes plutôt une start-up  », reconnaît Marc Boileau, «  avec un chiffre d’affaires de 1,2 million d’euros en 2011 et quelques équipes  ». Les bénéfices à attendre sont donc à long terme. «  Nous investissons pour gagner la confiance de nos clients sur la durée, convaincre les propriétaires des réseaux de nous confier les clefs du camion  »,explique-t-il. Investissements non seulement techniques et financiers mais aussi humains, avec la formation du personnel des partenaires. A ce stade, les contrats décrochés par les équipes d’ERDF-i pèsent peu au regard des 72 milliards d’euros de chiffre d’affaires réalisés par EDF. Mais le fait que l’électricien tricolore songe ces temps-ci à « sortir » cette activité d’ERDF, pour la loger en son sein, témoigne de son potentiel… De fait, comme le souligne Marc Boileau, l’intérêt de ces chantiers à l’étranger n’est pas seulement commercial et financier. «  Cela permet l’exportation de composants français jusqu’en Chine, sécurise donc des assises industrielles, nourrit un vivier d’experts et nous permet d’améliorer nos performances domestiques à travers le retour d’expérience.  »

Utiliser la « météo des routes »

Une expérience qui peut, parfois, être haute en couleur. L’Etat libanais, par exemple, ne dispose d’aucun relevé indiquant où se trouvent transfos, disjoncteurs, poteaux ou lignes électriques ! Les équipes d’ERDF-i sillonnent donc la campagne pour repérer et évaluer les équipements, les clients, jauger les voltages, les câblages, recenser les poteaux, évaluer les pics de consommation. Il importe de s’adapter à des contextes locaux délicats, jusqu’à en être surréalistes. Impensable d’envoyer un chrétien maronite relever les compteurs d’abonnés dans un quartier sunnite…

En fonction des tensions interconfessionnelles du moment, il faut parfois consulter la « météo des routes » diffusée par diverses ambassades. Le code orange signifie « soyez vigilant » ; rouge, « impératif d’être accompagné par un habitant de la région » ; noir, « renoncez au déplacement ». En ce moment, le nord du pays oscille entre rouge et noir en raison d’affrontements réguliers entre partisans et adversaires du régime syrien de Bachar al-Assad.

En matière de sécurité, lors des interventions sur des lignes électriques, ERDF-i doit aussi former des centaines de techniciens locaux, pas toujours enclins à respecter les procédures. L’entreprise est par ailleurs en train de diagnostiquer l’état des réseaux, avec son partenaire libanais, Butec utility services. C’est lui qui a remporté il y a un an l’appel d’offres, d’une valeur de 260 millions de dollars, lancé par l’opérateur public EDL (Electricité du Liban) pour rénover le réseau de Beyrouth nord, via un contrat de gestion déléguée. Il s’agit de repérer les goulets d’étranglement à résorber en priorité, pour élaborer le plan d’investissement. Ziad Younes, le patron de Butec, estime que «  15 % de l’électricité produite au Liban sont gaspillés pour des raisons techniques ». Au total, compte tenu des mauvais payeurs et des branchements pirates grâce aux fameuses « pinces à linge », EDL perd 44 centimes pour chaque euro d’électricité produite. Ce qui représente 1,5 milliard d’euros par an, une somme équivalente à rien de moins que 2,7 % du PIB. BUC et ERDF-i espèrent ramener le taux de pertes à 8 % dans quatre ans.

Pour cela, ils comptent sur l’installation, au sein de réseaux électriques intelligents, de compteurs « communicants » qui permettent notamment de couper à distance ou de réduire l’alimentation de clients mauvais payeurs. Une évolution technologique indispensable dans des quartiers où un technicien chargé de cette mission fera l’objet de pressions ou d’intimidations. Ces compteurs permettent en outre d’éviter des black-out lors des pics de consommation, en décalant le fonctionnement de certains équipements énergivores.

Au Liban comme dans ses autres pays d’intervention, ERDF-i mise sur le développement du système de compteurs Linky, testés en France auprès de 300.000 clients en 2011. En cas de panne sur le réseau, le diagnostic est facilité et la réparation accélérée. Tous les grands opérateurs développent de tels « réseaux intelligents », mais avec des technologies différentes ; les Britanniques privilégient une communication par téléphone avec les compteurs et les Américains, la radio. L’innovation majeure du matériel utilisé par ERDF consiste à envoyer un message à l’intérieur du courant électrique, sous forme d’onde.

ERDF-i compte installer cette nouvelle génération de compteurs à Beyrouth, pour notamment réduire la fréquence et la durée des coupures, ce qui serait de nature à réduire les impayés. En effet, si certains clients refusent de régler leur facture par malhonnêteté ou parce qu’ils n’ont plus les moyens de le faire, d’autres rechignent surtout à payer un service peu fiable. Du coup, les entreprises libanaises et les ménages qui en ont les moyens optent pour des groupes électrogènes. La facture, souvent équivalente à 120 dollars par mois, est salée pour un salaire moyen de 400 dollars. Dans différents quartiers, on a donc vu fleurir des réseaux de distribution sauvages mais bien organisés, avec groupes électrogènes de grande taille et fils électriques courant un peu partout dans le quartier dans des conditions de sécurité délirantes. Le propriétaire, généralement le « caïd » du quartier, collecte les paiements via des compteurs rudimentaires ou facture la consommation au jugé. Un contraste un peu surréaliste avec les compteurs ultramodernes installés à quelques centaines de mètres de là. A l’image du Liban, où les industries les plus sophistiquées prospèrent dans un pays incapable de fixer la date des prochaines élections, d’investir dans des centrales électriques ou de désarmer des milices.

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